Catherine Clément - Le musée des sorcières

Résumé
En Europe, on a brûlé les sorcières jusqu'au
XVIIe siècle. Elles n'étaient coupables que d'une seule chose : être
femme. À la veille de la Renaissance, un pape avait proclamé que toutes
les femmes étaient sorcières. Bonnes à tuer pour protéger le « membre
viril » disent les textes. Toutes ces cruautés à peine balayées par la
Révolution française, l'impure sorcière fut bientôt transformée en son
contraire : la très pure Sainte Vierge.
Que reste-t-il aujourd'hui de
ces sorcières jadis brûlées, écartelées, maudites ? Guérisseuses de
choc cachées dans les campagnes, petites-filles du féminisme, activistes
Femen ou membres du mouvement #Metoo, les sorcières du XXIe siècle sont
libres et fières de l'être.
Romancière, philosophe, critique littéraire, essayiste, Catherine Clément n'est pas entrée en sorcellerie par hasard. Après avoir profondément aimé sa mère, une « sublime sorcière juive-russe passionnée d'occultisme et de voyance », choisissant « la raison contre sa folie », elle nous offre aujourd'hui dans un essai lumineux une réflexion pertinente sur les liens subtils qui relient misogynie, féminisme, religion et sorcellerie.
Mon Avis -
En préambule : « les génocides du 20ème siècle ont plongé dans l’oubli ce long crime contre l’humanité que fut la chasse aux sorcières en Europe et dans ses colonies ».
Catherine Clément, nous emmène à la chasse aux sorcières, qui a duré des siècles. Un véritable génocide.
Tout commence avec "Le marteau des sorcières", manuel d'inquisition écrit en 1486.
"Pierre de Lancre, 1609. Chargé par Henri IV d’épurer la région du Labourd, région basque réputée « infestée de sorcières. » Après avoir bien fantasmé sur le Malin sodomisant les gueuses aux cheveux libres (...), le zélé serviteur livra aux flammes en place publique, en l’absence des hommes partis chasser la baleine, 80 femmes, maudites païennes coupables donc d’avoir....dansé la sarabande, d’avoir eu des mœurs un peu trop légères à son goût".
"La chasse aux sorcières ne prit fin que sous Louis XIV, qui y mit un terme en 1682 non par bonté d’âme mais simplement pour protéger sa favorite Mme de Montespan (donc la Cour), impliquée - sans doute à tort - dans la sulfureuse Affaire des Poisons".
J'ai apprécié cette lecture, très bien documentée. Un hommage à toutes ces femmes emprisonnées, torturées, et condamnées.
« Une femme qui pense seule pense à mal »
Les possédées, entre politique et sorcellerie – Loudun 1630
Difficile de le croire : l’une des villes les plus paisibles de France va devenir en 1630 l’épicentre d’un des plus grands scandales de son histoire.
A mi-chemin entre religion, sorcellerie et politique, les passions vont exacerber tout le pays autour du cas d’un prêtre catholique, Urbain Grandier, et de quelques religieuses possédées.
Mais que vint faire le cardinal de Richelieu dans cette ténébreuse affaire des possédées de Loudun ?
Nous sommes dans les années 1630 et le Premier ministre de Louis XIII est au faîte de sa gloire. Pourquoi alors se mêler de sorcellerie et tant en vouloir à un prêtre inconnu du nom d’Urbain Grandier ? Un prêtre que les ursulines de Loudun ont accusé, en 1632, de les avoir tout bonnement ensorcelées. Sans doute, parce qu’il était soupçonné d’avoir publié un pamphlet contre le cardinal. Sûrement parce qu’il s’opposait à la destruction des murailles d’une ville qui abritait beaucoup de protestants (Loudun, fut ce qu’on appelle une « place de sûreté » pour ces derniers). Sans doute aussi parce qu’il professait à l’égard de ces derniers une tolérance peu acceptable en ces temps de contre-Réforme. Sûrement enfin, parce que Richelieu était dans le même temps en train de construire sa propre ville à 20 kilomètres de Loudun et qu’un tel défi à son autorité lui était insupportable…
"Le démon Asmodée les aurait poussées à commettre des actes impurs entre elles, elles voient chaque soir le fantôme de leur confesseur mort quelques mois plus tôt, elles hurlent, blasphèment… c’est certain, les dix-sept ursulines de Loudun sont possédées par les démons".
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Un curieux prêtre…
A bien des égards, l’adversaire que trouve Richelieu à Loudun n’est pas un prêtre ordinaire. L’abbé Grandier est en effet un séducteur impénitent auquel on prête de nombreuses aventures. Certaines dans l’enceinte même de son église ! De plus, c’est un personnage plein de morgue et largement détesté.
En 1693, dans son livre ‘Histoire des diables de Loudun’, Nicolas Aubin rapporte que « ses hauteurs lui avaient suscité un grand nombre d’ennemis, et le penchant extraordinaire qu’il avait à la galanterie lui en avait bien plus fait ».
Parce que l’une de ses conquêtes veut à tout prix l’épouser, il écrit même un Traité contre le célibat des prêtres. Il est à l’époque arrêté une première fois pour débauche mais, blanchi des accusations qu’on porte contre lui, peut revenir dans son diocèse en 1631.
La supérieure du couvent des ursulines de la ville, la mère Jeanne des Anges, une jeune fille noble mais difforme que sa famille a placée là faute de pouvoir la marier, a alors la curieuse idée de lui proposer de devenir le confesseur de sa communauté. Constatant qu’elle semble s’être éprise de lui, il refuse le poste mais elle n’aura sans doute ensuite de cesse de prouver que son amour pour lui ne pouvait qu’être inspiré par le démon. Dans ses mémoires, elle en est persuadée :
« Ce démon m’offusquait de telle sorte que je ne distinguais quasi pas sa volonté de la mienne. (….) Quand il occupait ma tête, je déchirais tous mes voiles, et ceux de mes sœurs que je pouvais attraper, je les foulais aux pieds, je les mangeais en maudissant l’heure que j’étais entrée en religion ».
L’affaire commence à proprement parler en 1632. La même année, la ville est durement touchée par une épidémie de peste qui tue un quart de la population. Les deux questions sont-elles liées ? Dieu s’acharnerait-il sur une ville qui n’a pas assez la foi catholique et qui a hébergé un prêtre débauché ?
… qui finira au bûcher ?
Le démon Asmodée les aurait poussées à commettre des actes impurs entre elles, elles voient chaque soir le fantôme de leur confesseur mort quelques mois plus tôt, elles hurlent, blasphèment… C’est certain, les dix-sept ursulines de Loudun sont possédées par le démon. Même s’il n’est jamais entré dans leur couvent, le responsable de leur état ne peut être que ce curieux abbé Grandier. On tente de les exorciser mais rien n’y fait : un an plus tard, elles semblent toujours perdues, ensorcelées par cet homme auquel aucune femme ne semble pouvoir résister. Alors, la France entière court à Loudun pour assister à leurs exorcismes. Parce qu’elles l’accusent, Urbain Grandier est arrêté pour être jugé par un tribunal ecclésiastique qui l’acquitte faute de preuves. Mais n’est-ce pas justement là la preuve que le démon le protège ?
C’est alors que le cardinal de Richelieu, qui ne s’était jusqu’ici pas mêlé de l’affaire, décide de prendre les choses en main. Il suspecte en effet Grandier d’être l’auteur d’un pamphlet intitulé « La Cordonnière de Loudun », qui l’attaque de la plus vive façon. Il fait donc rouvrir l’affaire. Fin décembre 1633, Grandier est de nouveau arrêté mais cette fois, soumis à la torture (les brodequins). S’il n’avoue rien, on n’en trouve pas moins des preuves – fabriquées ? – avec des écrits signés Satan qui seraient de sa main. De nombreux témoignages l’accusent également. On ressort opportunément le livre qu’il avait écrit sur le célibat des prêtres.
Il est condamné à mort de la plus abjecte des façons : on lui inflige la « question extraordinaire », celle dont on ne se remet pas, ses membres sont tous brisés. Il refuse encore d’avouer et est finalement brûlé vif.
Dans son roman Cinq-Mars, Alfred de Vigny fera une description saisissante de ce moment où « le bourreau, sans avoir le temps d’attacher la victime, se hâta de le coucher sur le bois et d’y mettre la flamme » alors que la foule tente de libérer le malheureux prêtre. Il semble que les choses se soient passées bien autrement : des moines qui entouraient le bûcher auraient même, avant d’y mettre le feu, empêché qu’on étrangle Grandier pour que sa mort soit la plus douloureuse possible !
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Une tache dans la vie de Richelieu La sinistre farce de Loudun apparaît comme une tache indélébile dans le portrait de celui qui reste sans doute le plus grand homme politique qu’ait connu la France et qui la gouverna de 1624 à 1642 sous l’autorité de Louis XIII. Et quelle ascension pour cet homme qui, s’il est noble, n’est pas riche. Se destinant à la carrière des armes, Armand Jean du Plessis de Richelieu est ainsi obligé de devenir prêtre pour conserver les bénéfices de l’évêché de Luchon qui à eux seuls permettent à sa famille de survivre. Qu’à cela ne tienne, alors qu’il a 29 ans et est venu à Paris représenter le clergé poitevin aux états généraux, il est remarqué par la régente et mère de Louis XIII, Marie de Médicis. Elle le présentera à son fils, mais s’en mordra bientôt les doigts tant il prendra son parti contre le sien une fois devenu le plus proche conseiller du roi ; dès lors, il entreprendra de juguler l’influence protestante tout en abaissant les grands du royaume, donnant ainsi à la France une structure étatique pérenne. Il deviendra aussi immensément riche et proposera que Mazarin lui succède après sa mort. |
Un immense retentissement
Une population largement protestante qu’il convient de convertir dans le cadre de la contre-réforme, une terrible épidémie de peste qui tue une grande partie de la population, l’antipathie personnelle du plus puissant personnage du royaume, une mère supérieure hystérique qui veut se faire connaître, mais aussi la véritable manne financière qu’apporte l’affaire à la ville et à son couvent : l’affaire de Loudun n’aurait jamais existé sans la concomitance de raisons dont aucune n’aurait pu générer seule un tel drame.
Dans une France qui sort peu à peu de l’obscurantisme médiéval, elle dessinera une véritable fracture entre certains croyants encore persuadés de la toute-puissance diabolique et ceux qui ont déjà une vision plus moderne. Les ursulines furent ainsi largement brocardées dans tout le royaume pour leur supposées vie sexuelle.
Encore aujourd’hui, nombre d’écrivains s’emparent régulièrement des figures de Jeanne des Anges et de l’abbé libertin pour des livres comme :
Les Diables de Loudun d’Aldous Huxley ou, plus récemment, Les Diables de Ken Russel.
Il est des figures comme celles-là qui sont éternelles. (source F.Actuelle)
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